Cette photo me plaît.
Quand je suis arrivé sur la terre des éléphants : cette rangée blanc-rouge n'existait pas. Et si je me rappelle bien, le terrain situé entre le muret et la route était laissé à l'abandon. La photo me plaît car elle montre l'ingéniosité et la créativité des ivoiriens en matière de recyclage. Qui aurait pensé à faire une clôture avec des pneus ? Repeints en rouge et blanc qui plus est. Retraçons un peu le cycle de vie de ces pneus. On va admettre que certains d'entre eux sont des michelin. J'ai des amis qui travaillent dans l'hévéa, non loin d'Abidjan. Ils m'ont un peu expliqué un peu comment ça marche... De l'hévéa (ou aussi appelé arbre à caoutchouc) on extrait le caoutchouc (sans blague?)
Imaginons ainsi la vie de la petite molécule de caoutchouc. Elle est une subtile combinaison des
éléments nutritifs du sol et du milieu sur lequel a poussé l'arbre (matière organique plus quelques arômes et épices locales...) Les éléments ont été puisés par les racines. L'hévéa, grand savant et sorcier de son espèce a su doser parfaitement et trouver la recette magique pour que le produit final, soit de la sorte du latex. Ce produit est pour le feuillu une résine plutôt qu'une sève. Elle lui sert plus ou moins de défense.
Ainsi nait notre petite molécule de caoutchouc.
Un mec vient par la suite faire une entaille sur le tronc de l'arbre (une saignée) puis le liquide s'écoule dans la tasse. Après quelques jours / heures on peut récupérer le fond de tasse avec nos
petites molécules qui chantent gaiement. Et c'est parti pour l'aventure.
Une fois ramassés, ces fonds de tasse se retrouvent à l'usine (où ils ont perdu leur couleur
blanchâtre au passage pour du brun/noir, en raison de l'oxydation à l'air) où ils subissent bon
nombre de transformations et de bains. Ce procédé sert surtout à laver le caoutchouc et le
séparer de toutes ses impuretés. Ensuite le produit fini à la sortie de l'usine est presque pur
et peut être envoyé en Europe, ou en occident.
Mais où exactement ?
Ben disons que les cartons de latex comportant notre chère molécule prennent le bateau et qu'ils arrivent à Marseille ou le Havre (ou Dunkerque soyons fou) puis qu'ils se retrouvent à Clermont-Ferrand dans cette bonne région "Auvergne". Puis hop après encore quelques étapes de transformation (que je ne connais pas) on en sort des pneus. Ils seront utilisés pour l'industrie automobile. Notre molécule est maintenant durcie et fait partie intégrante d'un pneu. Elle vient participer au bon fonctionnement de la voiture en amortissant les petits chocs et en créant une certaine adhérence utile pour le freinage.
Et par le fruit du hasard, (les aléas de la vie diront certains), il arrive que le véhicule se
retrouve en Afrique pour une raison x ou y. On retourne presque à la case départ. Ici en Côte
d'Ivoire, le pneu sera utilisé jusqu'à son dernier souffle. En raison des nombreux trous sur la
route (on a encore crevé ce week-end) il sera réparé à souhait, rechapé, gonflé avec je ne sais
quoi autant que possible. Et ce n'est que vraiment quand toutes les solutions auront été usitées pour le maintenir en vie, et qu'aucune d'entre elles ne fonctionnera que l'objet en gomme sera délaissé. Plus de repreneur, plus de valeur (enfin presque) plus appareillés, les pneus sont utilisés en décor. Rouge et Blanc, deux belles couleurs qui rappellent à la fois les courses automobiles (les pneus aussi d'ailleurs) ou bien Monaco, (ou la Pologne...)
Dès lors notre latex et notre chère molécule pourront être fiers d'avoir si bien voyagé au cours de leur vie (la brousse ivoirienne, l'usine de transformation, le port d'Abidjan, le port de Marseille, Clermont-mont-Ferrand, 100 000 km à tourner et tourner en Europe puis remis sur une voiture en mauvais état, traversées de pays vers le sud: Espagne, Maroc, Mauritanie, Mali, puis enfin Côte d'Ivoire , ou alors bateau en sens inverse, puis encore des dizaines de milliers de kilomètres et enfin l'immobilité. Le retour vers sa mère la terre, à demi enfoui et badigeonné de rouge ou de blanc. Retour sur ses terres natales pour un repos serein et bien mérité.
C'est pas mal non ? (Évidemment, sachant que la côte d'ivoire ne produit qu'une partie infime du
latex dans le monde et que tous les pneus ne finissent pas en Afrique il y a peu de chance pour
que la molécule retrouve son pays d'origine, mais tout est possible, et on ne sait jamais.)
Et puis cette déco ça donne un petit côté sympathique à cette zone industrielle...
Je me rappelle quand cette "clôture" était en cours de construction. Un jardinier était affairé
à creuser des trous pour planter les pneumatiques. J'ai alors demandé à mon compagnon si les
initiateurs de ce projet espéraient ainsi voir pousser des arbres à pneu... Ça l'a fait rire. Il
a dit que j'étais méchant.
Quand on voit les objets qui sont utilisés dans tous les sens et bouffés jusqu'à la moelle, et
réutilisés infiniment je me dis que de ce point de vue là, l'Afrique est vraiment un pays
"durable" et a beaucoup à nous apprendre. Biensûr il n'existe aucune loi qui va dans ce sens (ou
elles ne sont pas appliquées ce qui revient au même) et c'est plus par nécessité que ce
phénomène existe mais ça donne à ce continent un petit côté génial. En occident on chercherait
plutôt à acheter un palissade flambant neuve toute fade "chez un faiseur de palissade et de
clôtures" puis on ferait poser ça uniformément pour qu'elle ressemble à celle du voisin.
-Toujours acheter-.
Mais ici, comme il n'y a pas forcément les moyens (ou qu'on veut les consacrer à autre chose) et bien on choisit une autre solution. Plus voyante, plus économique, plus locale...Et même si elle n'était pas forcément acceptée en Europe cette clôture de pneus, je trouve qu'elle est à sa parfaite place à cet endroit et à ce moment-là.
CCL -> Voilà pourquoi la petite molécule de caoutchouc peut être fière d'elle.
La semaine prochaine, nous suivrons les aventures d'Indiana Jones en forêt. À bientôt.